9 février 1943 : le général de Gaulle défend la République
Dans la conférence de presse qu’il tient à Londres le 9 février 1943, le général de Gaulle pose très clairement la légitimité de la France combattante et affiche sa détermination à ce que la République soit le socle d’une France libérée et décidée à reprendre sa place parmi les grandes nations du monde. A cet effet, il rappelle que le Comité national a passé au crible la récente déclarations du général Giraud. Il explique ce qui lui sied tout comme ce qui l’inquiète : « L’opinion du Comité National est que, dans les dispositions qui sont prévues par cette déclaration, il y a certains points qui donnent un commencement de satisfaction aux buts de la France Combattante, et ce commencement de satisfaction vient du fait que, pour la première fois depuis des mois, quelques mesures effectives de liberté sont prises dans ce malheureux pays ». A l’évidence, on mesure chez de Gaulle des réserves sur la pratique de la démocratie d’un Giraud qui bénéficie d’une confiance affirmée par la Maison Blanche.
Le chef de la France combattante précise : « Pour ce qui concerne le fond des choses, nous pensons, comme nous l’avons toujours dit, que le système actuel en Afrique du Nord peut être épisodique mais que, par essence, il ne peut être qu’artificiel. C’est qu’en effet, les choses françaises, les organisations françaises, les pouvoirs français ont besoin d’une base qui soit légitime. Or, c’est un fait qu’il existe deux légitimités qu’il est possible d’invoquer pour ce qui concerne les choses françaises; l’une est un semblant de légitimité, c’est la base coupable et détestée de Vichy; l’autre, c’est la République ». On comprend parfaitement que de Gaulle ne s’inclinera jamais devant des gens qui ont servi avec zèle Vichy avant de retourner leur veste par un opportuniste politique non dépourvu de cynisme.
« Nous avons cherché, dans la déclaration dont nous parlons et dans le décret qui l’a suivie, quelle est la base de cette construction. Nous n’avons pas pu la discerner. Est-ce Vichy ou est-ce la République? ».
De Gaulle insiste sur l’ambiguïté de la parole de Giraud et ne peut s’en satisfaire au nom de la France combattante.
Il exprime sa grande prudence envers un Giraud dont il cherche à mesurer la sincérité de la posture : « La conversation que j’ai eue avec le Général Giraud n’a pas, je le regrette d’ailleurs, été assez catégorique pour que ce point-là soit réellement élucidé, et je crois que dans l’esprit du peuple français la libération qui est poursuivie en combattant par beaucoup et en souffrant par presque tous, je crois bien que dans l’esprit de l’immense majorité des Français, la libération signifie à la fois le fait de chasser l’ennemi du territoire et de rétablir la République. Je ne préjuge pas naturellement de la sorte de République qui sera rétablie. Cela est l’affaire du peuple français lui-même. Mais nous sommes tous convaincus à la France Combattante et presque tous les Français sont convaincus que le régime républicain est le seul légitime et je ne vois pas comment on serait d’accord avec la volonté et la dignité du peuple français, sinon sur la base des lois de la République ».
Le propos est on ne peut plus clair et ces paroles ne peuvent que favoriser l’unification de la Résistance intérieure autour d’une ambition républicaine partagée. Il montre aussi la constance de son engagement : « Je crois, d’ailleurs, que l’exemple est illustré par la France Combattante elle-même. Vous n’ignorez pas que la France Combattante a pu, depuis l’armistice signé par Vichy, remettre dans la guerre une partie importante de l’Empire français. Dans cette partie de l’Empire français, la France Combattante a rétabli purement et simplement les lois de la République Je ne crois pas que personne ait entendu parler d’un trouble sérieux dans l’Empire français qui est administré par la France Combattante. Il n’y a pas de comparaison entre cette situation et le grand trouble et la grande confusion qui règnent actuellement en Afrique du Nord française, parce que l’autorité n’y a pas de base ». Il est patent que de Gaulle conteste les institutions mises en place par les Alliés et très soutenues par les Etats-Unis. Aussi l’entente avec Giraud ne se fera pas par un coup de baguette magique.
« Ce que nous voulons et ce que la France veut, ce n’est pas un accord entre deux Généraux. Cela ne compte pas ! On a souvent présenté, dans la presse internationale et dans les déclarations d’hommes publics étrangers, la grave affaire d’Afrique du Nord comme ayant tourné à la rivalité personnelle entre deux Généraux. Je crois que c’est une mauvaise plaisanterie. La question est infiniment plus grave. Il s’agit de l’union de l’Empire, qui appartient à la France, pour la libération de la France et pour les buts que la France a choisis » commente de Gaulle. et d’ajouter : « Ces buts, je le répète, sont l’expulsion de l’ennemi du territoire, l’établissement des lois de la République et le triomphe de l’idéal pour lequel luttent ensemble toutes les Nations Unies, y compris la France. Ces buts sont ceux que la volonté de la nation s’est fixée depuis le 3 septembre 1939 ».
Le Général insiste sur les contradictions que met au jour le scénario imaginé à Washington : « Je crois même qu’aujourd’hui, lorsque dans le monde un homme pense à la question de l’Afrique du Nord, il pense en même temps – n’est-ce pas ? – à la France Combattante. Et cependant, cette grande force morale et matérielle que représente la France qui combat se trouve absente du terrain même où son action aurait pu s’exercer et peut s’exercer de la façon la meilleure et la plus efficace pour la France et pour les buts qui nous sont communs ».
C’est une manière diplomatique de condamner la marginalisation d’une France combattante qui est exemplaire dans l’action et illustre les attentes des Français qui souffrent au quotidien dans un pays occupé et soumis à de dures privations.