15 octobre 1943 : l’abbé Derry décapité à Cologne
Natif de l’Orne, militant de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. l’abbé Roger Derry qui a fréquenté le séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux est prêtre dès 1930, puis il devient directeur du Bon-Conseil, un lieu de vie crée en 1894 par l’abbé Esquerré et qui poursuit trois missions : intégration de groupes et de mouvements catholiques tels que scouts, guides, petits chanteurs ; développement personnel et collectif grâce aux activités sportives ; développement culturel des élèves grâce à l’action de l’Association culturelle.
Lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate, l’abbé Roger Derry est désigné comme aumônier de la 6e Division d’infanterie nord africaine et de la 40e division d’Infanterie. Décoré de la croix de guerre avec palme, pendant la campagne de 1940, il revient à Paris après l’armistice. Il choisit de résister parce qu’il se reconnaît dans l’essence de l’appel du général de Gaulle. Son engagement est bref. Il est dénoncé et arrêté le 9 octobre 1941. Transféré en Allemagne, le père Derry est condamné à mort le 1er septembre 1943 à Dusseldorf puis décapité à Cologne le 15 octobre 1943.
Il faut relire sa dernière lettre adressée le 2 septembre 1943 au lendemain de sa condamnation à la peine capitale à Mgr Chevrot, curé de Saint-François Xavier à Paris.
« Mon Cher Monsieur le Curé,
Je suis à quelques jours, peut-être à quelques heures de ma mort. Dieu est bien bon qui me donne une grande paix et cette joie de l’esprit dont parle l’auteur de l’Imitation. Il n’y a rien pour la nature : le corps est brisé, le cœur est meurtri, mais l’âme est dans les hauteurs. Je ne cesse de remercier le bon Dieu qui, dans son immense bonté, m’a redonné tant de ferveur. J’aurais pu mourir, sinon dans le péché, du moins dans la tiédeur que la trop grande activité extérieure risquait d’entraîner. Or, la paille des cachots, le jeûne le plus rigoureux, les humiliations et les misères de toutes sortes, la solitude, tout ce que Dieu dans sa Providence a permis pour mon bien, joint à la prière et à l’oraison continuelle, m’ont conduit sur des sommets où il fait beau et bon. Ma vie depuis deux ans n’a été qu’une messe continue et ce sera bientôt après l’immolation du Calvaire, la communion la plus intime et l’action de grâces éternelles. (…).
Comme Dieu est bon ! Car ma confiance est plus grande que la crainte que je pourrais concevoir à cause de mes péchés. Je demande cependant vos prières et des messes pour toutes celles que je n’aurai pas dites (c’est surtout cela qui fut ma grosse souffrance et qui est aussi l’objet de mes craintes).
Je vous demande pardon de n’avoir pas été ce que j’aurais dû être, comme je demande pardon à tous ceux à qui involontairement j’aurais pu faire de la peine ou causer quelque tort. Je n’ai toujours voulu que le bien : si je me suis trompé dans les moyens, je me rattraperai bientôt en me donnant pour tous. Quels regrets de ne pouvoir plus me livrer à l’apostolat, et de savoir que ma vie est terminée ici-bas. Le bon Dieu l’avait-il marquée si courte ? Mes responsabilités ne sont-elles pas très grandes d’avoir réduit ma vie qu’il voulait pour lui seul plus longue ? … Mais je dépasse et j’abandonne ces craintes pour me jeter le plus complètement possible en Dieu.
J’offre ma vie pour toutes les grandes causes que j’aurais voulu mieux servir, pour Dieu, pour l’Église, pour la France, pour ma chère paroisse Saint François-Xavier, où je suis si souvent par la pensée, pour mon cher Bon-Conseil, pour tous ceux que j’aime.
Puisse ma mort être ma messe la mieux célébrée, la plus généreusement et la plus joyeusement offerte. Je vais bientôt, Cher Monsieur le Curé, voir Celui que, malgré tout, j’ai tant aimé. Je vais enfin l’aimer comme j’aurais voulu l’aimer toute ma vie, et j’espère, de là-haut, faire plus de bien que je n’en ai fait ici-bas. J’aurais encore tant de choses à vous dire. Mon cœur est plein à déborder et je suis obligé de terminer. (Si vous saviez dans quelles conditions je griffonne ce mot !… les bottes !…) Je pense à tous, je n’oublie personne. Je prie pour tous. J’ai tant aimé ! Mais il me semble que j’aime bien mieux encore et bientôt, de là-haut, comme je vous aiderai !
Comme Dieu est bon de me faire finir sur la paille d’un cachot, dans le dénuement le plus absolu, mais que j’aime, dans l’extrême pauvreté et l’obéissance. Comme la prière et l’oraison sont faciles. Mon bréviaire que j’ai pu dire presque toujours a été ma grande consolation, ma nourriture quotidienne avec l’Imitation de Jésus-Christ. Je n’avais jamais autant goûté les Psaumes. Je demande encore pardon. Priez beaucoup pour moi ! Demandez à mes chers confrères la charité de messes. Et puis, à bientôt, au ciel !… où je suis déjà par la pensée et le désir. Je me permets de vous embrasser très filialement. Je vous redis toute mon affection et puis devinez tout ce que je ne dis pas mais dont mon cœur est plein. Dieu soit béni et vive la France ! ».