La Grande Guerre des cartes postales
Quelle est la place qui a été tenue par la carte postale pendant la Première Guerre mondiale? C’est à cette question que Pierre Bourland et Guillaume Doizy répondent, l’un en historien l’autre en spécialiste de la caricature et de l’illustration. Leur travail très structuré est intéressant pour montrer comment les différentes facettes du conflit ont été abordées par les illustrateurs et quels sont les messages qui ont ainsi été adressés. Ils observent aussi des évolutions dans la manière de traiter les sujets. On ne procède pas de la même manière en 1914 ou en 1918.
On découvre dans une classification logique plusieurs chapitres forcément bien illustrés pour soutenir l’argumentation. La question de la patrie, des rites et des mythes, le visage de l’ennemi, la vie et la mort des héros, la manière de mobiliser à l’arrière et des documents annexes riches de reproductions de cartes authentiques de l’époque nourrissent cet ouvrage de qualité. Dès le 2 août 1914, la presse indique la création de cartes de correspondances militaires. Et lorsqu’on sait la place que l’écrit va tenir pour maintenir le lien entre les familles et leurs soldats au front, il y a ici une matière de première richesse pour découvrir et comprendre le ressenti des hommes confrontés à la violence de la guerre et mieux approcher ainsi leur quotidien.
Le soldat dispose gratuitement de cartes dispensées d’affranchissement ce qui ne l’empêche pas d’utiliser la lettre, expression plus personnelle et intime pour les siens. L’illustration de la carte choisie et adressée à un être cher ou à une simple connaissance constitue déjà un message. On va retenir trois catégories d’illustrations aux fonctions distinctes. Il y a d’abord les photographies qui sont diffusées sous le vocable de « cartes-vues ». Elles représentent des paysages bouleversés, des villages en ruines, des quartiers urbains éventrés, des monuments massacrés mais aussi des matériels militaires ou des groupes de soldats qui posent lors d’un temps de repos. Il y a également des images à vocation patriotiques où la détermination du poilu, son courage, sa volonté de vaincre sont sublimés et enfin, les caricatures et dessins humoristiques redoutables et parfois cruels.
Les « cartes-vues » sont très contrôlées par les armées et il n’est pas toujours possible de montrer dans l’immédiat ce qui semble le plus significatif aux photographes. La valeur ajoutée de ce livre est aussi le commentaire proposé sur un certain nombre d’images dont on n’omettra pas d’apprécier celles qui représentent des allégories. Elles sont aussi osées de chaque côté de la frontière. Dans le « Canard poilu », journal du front, hebdomadaire « torsif et antiboche », on peut lire le 1er septembre 1915 : » Le titre de premier poilu du monde appartient sans contexte à Adam, qui, comme chacun le sait, se promenait dans le paradis terrestre, couvert de poils des pieds à la tête. On lui avait confié trente-trois côtes qu’il eut le tort de ne pas garer avec assez de vigilance. Un soir qu’il dormait sur ses positions Jéhovah, dans une brillante attaque nocturne lui enleva la côte 33 qu’il avait repérée dans la journée. Pour punir Adam de s’être laissé surprendre, le créateur lui donna une femme en échange, et le soir même l’ancêtre des poilus couchait encore sur ses nouvelles positions ».
Dans un domaine plus classique et qui donne alors une carte postale on retrouve le Pater des poilus sur le modèle de la prière du Notre Père de l’église catholique: » Notre père Joffre qui êtes au front, que votre nom soit sanctifié, que la victoire arrive, que votre volonté soit faite, chez les poilus comme chez les civils. Donnez-nous vos ordres chaque jour, faîtes-nous prendre l’offensive, contre ceux que nous avons déjà enfoncés et délivrez-nous des boches. Ainsi soit-il! ».
Environ 350 documents dont de nombreux inédits sont rassemblés dans cette publication. Ceux sur la guerre des enfants sont remarquables de sens et de la volonté de créer un lien intergénérationnel autour de la question de ce conflit qui concerne toutes les familles.
Pierre Bourland et Guillaume Doizy, « La Grande Guerre des cartes postales », Hugo Image, 300 p, 19,95 euros.