La Grande Guerre en intrigue du prix Goncourt
Le prix Goncourt a été attribué le lundi 4 novembre 2013 au restaurant Drouant à Paris à Pierre Lemaitre pour « Au revoir là-haut ». Les jurés ne se sont mis d’accord qu’au douzième tour de scrutin sur ce roman édité chez Albin Michel et qui se déroule à la fin de la Première Guerre mondiale alors qu’on se prépare à célébrer le centenaire de la Grande Guerre. L’écrivain était l’un des favoris les plus cités. Il a été primé par le jury par six voix contre quatre à Frédéric Verger qui présentait son premier roman, « Arden ».
Pierre Lemaitre, auteur de « Robe de marié » ou encore d’ « Alex » confirme dans ce roman qu’il n’est pas seulement un as du polar et du thriller à la française, mais s’inscrit comme un très bon écrivain. Sa fresque historique de près de 600 pages, « Au revoir là-haut » relate l’histoire de deux soldats de la Grande Guerre brisés par le conflit qui, après l’armistice du 11 novembre 1918, essaient de survivre malgré toutes leurs souffrances. Ces deux poilus résument tous les combattants de la Première Guerre mondiale et leurs énormes difficultés à se refaire une place dans la société française à l’heure de la reconstruction.
Pierre Lemaitre publie un roman saisissant et très dense qui atteste qu’il s’est beaucoup documenté mais il n’est pas historien et n’a d’ailleurs pas cette prétention. Il a d’éminentes dispositions pour mettre en valeur des sentiments des plus contradictoires et décrire dans le détail des souffrances inouïes. Mais au-delà des pages tragiques qui créent une ambiance pesante, il y a cette petite lumière: « L’espérance est un risque à courir » comme l’a écrit Georges Bernanos.
Tout débute lors des ultimes assauts de novembre 1918. Le soldat Albert Maillard est poussé dans un trou d’obus par le terrible lieutenant Henri d’Aulnay Pradelle, qui estime la progression de ce poilu beaucoup trop lente. Une marmitte explose et le voici enseveli. Le brave soldat est secouru de justesse par un autre poilu, Édouard Péricourt, un fils de bonne famille. Son sauveteur est alor défiguré par un éclat d’obus «gros comme une assiette à soupe». Édouard devient une « gueule cassée ». Une amitié indéfectible s’exprime alors entre les deux soldats rescapés. La lutte pour la survie de ces deux-là, dans le Paris de l’après-guerre, est décrite avec gravité, finesse et d’évidentes qualités littéraires.
Au fil des chapitres, c’est une fresque très colorée de la France de l’époque qui surgit. La psychologie des personnages est passée au crible de l’intelligence. Le monde des honnêtes petites gensd’alors , celui d’Albert, apparaît avec forceet sympathie. Il obtient un emploi de liftier dans un grand magasin avant de devenir homme-sandwich sur les boulevards. Il gagne chichement sa vie et celle d’Édouard. Ce dernier en conflit avec son père exclut de reprendre contact avec les siens. Ne choisit-il pas, avec l’aide de son compagnon, à se faire passer pour mort et à endosser une fausse identité? Un roman plus sociologique et psychologique qu’historique même si la société de la fin de la Grande Guerre y est très bien décrite.